Manipulation russe au Mali: un tournant dans la guerre de l’information

Gossi

La Russie opère depuis plusieurs années son retour en Afrique de l’Ouest en profitant de l’insécurité grandissante et de l’instabilité de pluiseurs pays. Le mode opératoire russe, basé sur la guerre informationnelle et sur l’offre de services de sécurité, a déjà été bien documenté.

Ces deux volets sont sous-traités à la galaxie d’Evgueni Prigojine, un oligarque proche du Kremlin, dont la fortune lui permet de financer aussi bien la compagnie de mercenaire Wagner qu’un ensemble de médias et de fausses ONG qui diffusent le narratif favorable à Moscou. Le tout, soutenu par des armées de faux comptes sur les réseaux sociaux pour amplifier les informations.

Cette guerre informationnelle a été largement testée en Centrafrique depuis 2018. Elle est sous tendue par un ensemble de fake news anti Françaises et anti-ONU et une glorification des faits d’arme de Wagner. Ce modèle a depuis été exporté au Mali en s’appuyant sur le sentiment anti-français. Mais le 22 avril, un cap a été franchit avec la fabrication d’un “vrai” charnier pour accuser la France.

Une manipulation organisée et coordonnée

La manipulation a débutée tout de suite après la remise de la base militaire de Gossi par l’armée française à l’armée malienne (FAMA) le 20 avril. Deux jours plus tard, un compte Twitter dénommé Dia Diarra annonce la sortie prochaine d’une vidéo montrant un charnier à 3km de la base. Des internautes ont immédiatement signalé la nature suspicieuse du compte, crée en février, et dont la photo de profil était en fait reprise du compte VKontakte d’un usager colombien. Dès le signalement fait, le compte en question change sa photo pour un portrait d’Assimi Goïta, chef de la junte malienne, une pratique commune chez les supporters du régime mais aussi chez les trolls et faux comptes.

Peu après, l’armée française publie des images prises par drone le 21 avril, prouvant que le charnier en question avait en fait été fabriqué par des soldats caucasiens avec l’aide de soldats FAMA. La vidéo est diffusée par des médias français qui debunkent l’accusation contre la France, et pointant du doigt la responsabilité probable du groupe Wagner.

Il devient apparent alors qu’il s’agissait d’une manipulation coordonnée depuis le terrain (fabrication d’une fausse preuve) vers les réseaux sociaux (accusation de la France par de faux comptes). L’opération est finalement devenue une démonstration de l’absence de scrupules de Wagner, prêt à utiliser les moyens les plus sordides pour parvenir à ses fins.

Tentative de dévier le blâme

Magré l’échec tactique, les comptes pro-Russes ont malgré tout tenté d’accuser la France. Par ailleurs, une note du ministère malien de la défense a rejeté la possibilité que les FAMA soient impliqués dans les exécutions, tout en déclarant que l’état de décomposition des corps indiquait qu’ils étaient là avant le départ des Français.

Le colonel Dembele, chef de la DIRPA (Direction de l’Information et des Relations Publiques des Armées) accuse ensuite la France d’espionnage et de subversion, arguant que le drone qui avait filmé la supercherie avait violé l’interdiction de survol du territoire malien. Cette accusation est incohérente par rapport à une déclaration précédente énonçant que la vidéo était fausse suggérant qu’aucun drone n’avait survolé la scène. Une autre incohérence concerne la temporalité de l’affaire: le colonel Dembele soutient que les corps ont été découverts le 21, alors que le compte Twitter Dia Diarra avait annoncé celle-ci le 20.

Sur les réseaux sociaux, le débat a ensuite dévié sur l’origine des corps. Plusieurs comptes Twitter les ont liés à l’arrestation par la force anti-terroriste Barkhane de 6 suspects à Adiora le 17 avril.

La encore, la réaction française a été rapide puisque l’état major a annoncé que deux des suspects étaient déjà libérés et que les autres avaient un droit de visite de la Croix Rouge. Les quatre suspects en questions furent finalement libérés le 29.

Les corps pourraient en revanche venir de Hombori. Près de ce village, un véhicule FAMA a explosé sur une mine improvisée le 19. L’incident avait provoqué l’arrestation de 611 personnes et la “neutralisation” de 18 selon l’état major FAMA. Médecins Sans Frontières avait dénoncé le traitement violent de la population civile pendant ces évènements.

Malgré les incohérences, le discours pro-Wagner rencontre un fort écho parmi les panafricanistes et les groupes anti-français. Cela rappelle que même des faits avérés et solides ne suffisent pas à convaincre des populations manipulées et désinformées en permanence.

Est-ce que la France s’attendait à cette opération?

Le fait que la France ait filmé la fabrication tend à montrer qu’une telle opération était attendue. Cela pourrait être expliqué par plusieurs choses. Tout d’abord, Barkhane a tout simplement pu se baser sur l’historique de Wagner et sa propension à la désinformation pour s’attendre à un coup bas suivant la cession de la base de Gossi.

Mais il est également possible que l’état-major ait été informé de la manoeuvre. Il est en effet certain que plusieurs officiers de haut rang FAMA étaient au courant de la préparation d’une telle fabrication puisque des soldats FAMA y ont participé. Il est également connu qu’il existe quelques désaccords au sein de la junte malienne concernant l’alliance inégale avec les russes. Des sources locales ont confirmé également que certains responsables FAMA n’approuvent pas les méthodes violentes de Wagner. Ces désaccords jouent certainement par ailleurs dans les jeux de pouvoirs à Bamako, alors que le régime mis en place par deux coups d’état en moins de deux ans est encore fragile.

Il n’est donc pas impossible que quelqu’un au sein de l’appareil de sécurité ait fuité l’information à l’armée française. Cette hypothèse ne peut pas être prouvée actuellement, mais est plausible dans un contexte d’insécurité croissante marquée par l’incapacité du gouvernement de sécuriser le pays en dehors de sa rhétorique triomphaliste.