Comment la Russie et Wagner mènent leurs actions de désinformation en Afrique – l’exemple du GPCI
Au cours des derniers mois, notre collectif a mené plusieurs enquêtes sur le « Groupe panafricain pour le commerce et l’investissement » (GPCI), un réseau de faux médias financés par Wagner. Officiellement, le GPCI est une société de communication en marketing digital, mais ce n’est qu’une façade. En réalité, il s’agit d’un réseau de faux médias qui diffusent des narratifs pro-russes et pro-Wagner en Afrique. Le GPCI est une société appartenant officiellement à Harouna Douamba. Voici les éléments recueillis au cours de notre enquête :
Une méthodologie précise et des procédures rodées
Quelles sont les procédures utilisées par le GPCI pour répandre sa désinformation ? Le GPCI est un réseau organisé qui ne s’appuie pas uniquement sur de faux médias, mais également sur tout un réseau de faux comptes Facebook pour diffuser ses contenus. Le mode opératoire du GPCI est assez simple : Une fois l’article publié sur le site web d’un des faux médias en question, il est ensuite systématiquement repris par des pages et groupes Facebook affiliés au GPCI. Ensuite, le contenu est partagé dans d’autres groupes plus importants et à priori sans liens avec ceux affiliés au GPCI. Malgré leur impact limité, ces médias sont nombreux et la rédaction est très active, publiant plusieurs articles par jour. Les articles n’ont que peu de visibilité (environ 300 followers). Cependant, l’intérêt réside dans le multiple partage via Facebook, visant ainsi une audience plus large.
Une implication de l’État burkinabè ?
Les 2 et 3 août 2023, les pages officielles de la Présidence du Burkina Faso publient, par erreur, un article du GPCI citant un certain Alpha Diallo. Cette maladresse montre la connivence entre le Burkina Faso et Wagner, ou au moins une proximité entre le responsable des réseaux sociaux du GPCI et la Présidence du Burkina Faso. La publication de la Présidence, supprimée très rapidement incrimine « une erreur de manipulation » du Community Manager.
Selon l’enquête que nous avons menée à la suite de cet incident, l’administration burkinabè serait directement impliquée dans ces opérations : Le siège officiel du GPCI est situé dans les locaux de la Représentation de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Burkina Faso (CCI-BF) au Togo. En comparant les images des locaux du GPCI et de la CCI-BF, on s’aperçoit qu’il s’agit effectivement des mêmes bureaux. Certes, il est difficile de prouver explicitement que cette opération ait été commanditée directement par le Burkina Faso. Cependant, la présence du GPCI dans les locaux d’un établissement public burkinabè démontre au moins une certaine complicité entre ces deux acteurs. Il est anormal pour la CCI-BF de louer ses bureaux à une telle organisation. La CCI-BF aurait logiquement dû refuser de louer ses locaux au GPCI, dont les liens avec Wagner sont avérés, après avoir effectué une vérification des activités de cette organisation.
Fortune Younga, un relai important du GPCI ?
Yassia “Fortune” Younga est un jeune burkinabè. Il est le fondateur et l’administrateur de quatre pages Facebook sur lesquelles il diffuse des narratifs pro-russes.
- -Fortune live 24 (~113k abonnés)
- -Fortune Younga (~80k abonnés)
- -Fortune Younga Loroum (~11k abonnés)
- -Fortune Médias (~4k abonnés)
Fortune Younga est originaire de la région de Loroum, dans le nord du Burkina Faso. Il fait partie des premiers à avoir tiré la sonnette d’alarme vis-à-vis de l’insécurité qui sévit dans cette région du Burkina Faso. Il publie principalement des informations locales et affirme que la France est la source de tous les problèmes que traverse le Burkina Faso. Au fur et à mesure qu’il gagnait en popularité, son discours devenait de plus en plus favorable à la Russie et à Wagner. Fortune Younga a également été interviewé par des médias russes, notamment Sputnik, qui l’a cité directement dans une interview.
Des liens qui vont au-delà des médias – ONG et marketing politique
A côté des faux médias qui servent de relais à la propagande pro-Wagner, d’autres organisations sont également proches du GPCI. C’est le cas de l’ONG « Aimons Notre Afrique » (ANA) et d’Igescom, un groupe spécialisé dans le marketing digital et politique, tous les deux liés à l’écosystème du GPCI. Tout comme le GPCI, l’ONG ANA appartient à Harouna Douamba, un panafricaniste proche de Wagner. Une partie des locaux de l’ANA est située au même endroit que ceux du GPCI, ce qui démontre le lien direct entre ces deux organisations. Les liens du groupe Igescom avec le GPCI ont été établis après une analyse de leurs adresses IP et de leur code Adsense (vecteur publicitaire de Google), qui sont identiques. Le GPCI aurait-il l’intention de diversifier ses opérations de désinformation ?
Quel avenir pour le GPCI ?
Maintenant que l’avenir de Wagner est incertain, notamment avec la mise en place de l’AfricaCorps par Moscou, celui du GPCI l’est aussi. Malgré le lien entre le GPCI et Wagner, il est peu probable que la Russie décide de se passer d’un tel réseau de propagande. Une reprise en main du GPCI par l’AfricaCorps, ou par une autre instance directement pilotée par Moscou, apparaît donc envisageable.